Où en sommes-nous vraiment avec l’expérience client ?
La notion d’expérience client a fait son apparition en restauration il y a une vingtaine d’années. Si la théorisation du moment que passe un client dans un restaurant comporte certains avantages et a généré quelques progrès, la banalisation de l’expression a également entraîné des effets contre productifs.
Quelles conséquences a eu la mise en avant du concept d’expérience client pour la restauration ? Quels bénéfices pour le restaurateur ? Pour les clients de restaurant ? Quelles en sont les limites ?
Laurent Pailhès du cabinet NEO Engineering nous en parle et nous livre ses conseils.
J’ai créé un référentiel d’analyse de l’expérience client de restaurant qui comporte plus de 300 points de mesure répartis chronologiquement : de la prise de décision à la prise de congés. L’expérimentation de l’outil de mesure dans de nombreux restaurants commerciaux très différents (de la restauration rapide à la restauration étoilé), et ce depuis 20 ans, permet d’en tirer les enseignements suivants.
Le recours systématique au digital a révolutionné l’expérience client
L’avènement du digital a imposé à la restauration de soigner la présentation virtuelle, de permettre la prise de réservation instantanée et de faire connaître des enseignes de façon ultra rapide. D’où l’importance pour le restaurateur de soigner sa charte graphique, les supports commerciaux qui en découlent et de canaliser les avis clients sur Internet.
Les entreprises qui l’ont compris et intégré la dimension du digital dans leur proposition ont pu gagner d’importantes parts de marché face à des restaurants négligents sur ce point, et ce à qualité par ailleurs égale ou supérieure.
Le positionnement du point de vue du client rend le restaurateur plus libre
Si la folie de l’évaluation client a enchaîné le restaurateur au pilori qu’est la notation Google ou Trip Advisor, la mise en valeur de l’enseigne plutôt que de la personne a permis au restaurateur de gagner de précieux points de disponibilité. En se référant à une marque plutôt qu’à une personne, le client exige moins de présence effective du patron. En jalonnant l’expérience client de points rassurants, à la façon du déroulement d’un process, le client n’atteint pas le niveau d’angoisse qui lui fait chercher la présence d’un responsable.
Aussi, le restaurateur qui fait l’effort de comprendre le parcours de ses clients et les alternatives dont ils disposent se désengage de contraintes quotidiennes qui lui sont trop connues. Il est vrai que comprendre le client entraîne des effets vertigineux qui accentuent la charge mentale. Mais enfin, découvrir que l’on dispose de moyens d’actions pour augmenter l’expérience client sort le restaurateur sérieux de son propre référentiel.
Et, en ce sens, cela le rend plus libre. Par exemple, l’analyse du parcours client peut montrer que la prise de commande à table du dessert est longue, ce qui retarde la fermeture effective du service. Autre exemple : la non prise en compte du client avec au moins un regard à l’accueil accentue considérablement le niveau d’angoisse et le doute quant à la pertinence du choix du restaurant.
Le client est devenu un acteur à part entière de l’expérience
Parce que l’industrie de la restauration commerciale a intégré la notion d’expérience client, le client de restaurant s’est vu accordé plus de place : il est sollicité par les algorithmes pour choisir des restaurants qu’il n’aurait jamais connus auparavant, il est invité à composer lui-même son repas, il est informé des allergènes, il dispose de points de fidélité et de plusieurs moyens de règlement…
De plus, la cuisine lui est devenue accessible. Une forme d’art facilement abordable avec un peu de goût et d’argent. Les matériels de cuisine, pour les professionnels comme pour les particuliers, ont tellement évolué que cuisiner est plus simple. Les recettes de cuisine fleurissent sur les stands de librairie. Le résultat est que la restauration a intérêt à proposer une expérience vraiment augmentée par rapport à ce que le client peut vivre à la maison.
Avec le positionnement central du client dans l’expérience elle-même, et avec le développement d’enseignes de restauration qui se sont engouffrés dans le vide laissé par une industrie trop sûre d’elle-même, les exigences du client se sont accrues au point de changer la relation produit client.
L’expérience client présente la limite inhérente à celle d’un concept marketing !
Par nature, l’expérience client est un concept marketing. Et comme tout outil, la façon dont on mesure et la façon dont on réagit par rapport à la mesure peuvent produire des effets très différents. En restauration, le grand perdant de la mise au centre de l’expérience client, c’est le goût. Le deuxième perdant, c’est la quantité de nourriture et de boissons donnée au client.
L’offre nourriture et boissons est devenue mieux marketée, mais moins généreuse. Le prix à payer pour le client est devenu irraisonnable. Les gens savent-ils quel est le coût de revient d’une pizza vendue au bas mot 15€ ?
La restauration commerciale souffre de la non qualité qu’elle dissimule à ses clients. La qualité, c’est la fraîcheur, l’art et la manière, le respect des produits de saison, la filière d’approvisionnement… La juste quantité, c’est de rendre au client l’économie réalisée sur une recette qui ne comporte plus de protéines animales.
La mesure de l’expérience client doit replacer le goût au centre
« Il est indéniable que notre époque de surproduction et de technologie abâtardit, emprisonne, élimine même de nombreux produits ». Extrait des dix commandements de la nouvelle cuisine paru dans le nouveau guide Gault et Millaud en octobre… 1973.
50 ans après, la citation est plus actuelle encore. L’accès aux produits de qualité et plus généralement l’approvisionnement sont menacés par la surindustrialisation et le changement climatique. En ce sens, l’expérience client montre sa limite et n’apporte pas de réponse. Le restaurateur peut être amené par conviction ou par choix de proposer une offre qui peut ne pas être en adéquation avec les attentes de sa clientèle. Comme par exemple de ne plus proposer de produits issus de l’agriculture intensive.
Même si les études montrent que les clients sont attentifs à l’origine des produits, au bien-être animal, aux produits bio, à la réduction du gaspillage, il y a en réalité des clients qui cherchent un prix plutôt que du bœuf local. D’autres qui n’en ont pas fini avec le gras, le sucré, le salé.
En replaçant le goût au centre de l’expérience repas, des segments de clientèle sont surpris par le repositionnement d’une offre qui ne correspond plus exactement aux habitudes prises. Il revient au restaurateur de peser les risques commerciaux que le recherche du goût implique à court terme.
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Laurent Pailhès
Consultant gérant de NEO Engineering
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Propos recueillis pour le magazine BRA Tendances Restauration.