Leadership et management : qu’est-ce qu’un bon entrepreneur ?
Leadership et management : qu’est-ce qu’un bon entrepreneur ?
Propos recueillis par Anthony Thiriet pour le magazine BRA Tendances Restauration.
- En quoi le recrutement est-il important, notamment en restauration ?
Laurent Pailhès : Le rêve de tout entrepreneur, le Graal, la conquête inaccessible, le mythe sans cesse renouvelé… c’est de trouver personnel motivé et de pouvoir compter sur lui à moyen et long termes. Je dis « aujourd’hui », mais c’était déjà le cas hier, et ça le serademain. On n’a jamais fini de recruter. Le jour où on ne recrute plus, c’est qu’il n’y a plus de clients. Le recrutement est nécessaire car il apporte un souffle nouveau dans l’entreprise. La question du recrutement, de l’intégration et de l’optimisation des ressources humaines est particulièrement centrale dans la restauration parce que c’est un métier où l’humain est de facto au centre de toute l’activité.
- Les difficultés liées au recrutement sont-elles réelles ou affabulées ?
L.P. : Mes expériences passées liées au recrutement et à l’encadrement m’avaient déjà fait comprendre que c’est un sujet compliqué, et que la réussite en la matière est assez hasardeuse. Aujourd’hui, de nombreux témoignages de clients me parviennent, me touchent et attestent de la difficulté constante de trouver du personnel. Les prétendants à un poste ne viennent même plus aux rendez-vous qu’on leur propose… Je n’entrerai pas en argumentation avec un constat vécu et partagé : il est clairement difficile de trouver et de conserver du personnel qualifié, aujourd’hui peut-être plus encore qu’hier.
- Que faire, donc, face à ce dur constat ? Faut-il procéder différemment ?
L.P. : Face à ces deux dernières questions, force est de constater aussi que beaucoup de restaurateurs ne veulent pas remettre en cause leurs façons de faire. J’ai beau énumérer avec eux les réussites en la matière – et il y en a toujours, sinon, l’entreprise n’existerait pas -, je dois déployer une sacrée dose de conviction pour les emmener à penser différemment la relation envers leurs salariés. « On a tout essayé », puis-je entendre fréquemment. La confiance misée sur des collaborateurs pleins d’avenir a été trahie. Les recrutements n’en finissent plus d’apporter les mêmes profils de gens irresponsables, quand ils daignent prendre le temps de se présenter aux rendez-vous si généreusement accordés. Soit dit en passant, il va falloir s’accrocher pour trouver la perle rare car, en général, les collaborateurs qui prennent des initiatives ont trouvé des employeurs qui leur accordent d’en prendre.
- D’où vient cette résistance de la part de ces restaurateurs aguerris et expérimentés ?
L.P. : Elle est souvent la traduction d’une accumulation de multiples déceptions qui viennent ternir la représentation de la relation humaine. Elle est parfois le reflet de la lassitude qui s’inscrit après des années d’exercice de l’encadrement. De la relation envers les collaborateurs comme envers les clients.
Les restaurateurs ont aussi du bon sens, qu’ils doivent sans doute à eux-mêmes et à leur exercice de la fonction humaine avec leurs clients et collaborateurs. Ils ont intuitivement compris que le but affiché des grandes entreprises de « procurer du bonheur » à leurs salariés est un vœu pieu.
- Est-ce irrationnel de vouloir procurer du bonheur dans l’entreprise ?
L.P. : L’entreprise n’a pas vocation à rendre les gens heureux pour au moins 2 raisons :
- l’entreprise doit être performante ;
- la notion de bonheur est très singulière d’une personne à une autre, d’un moment à l’autre.
La notion de bonheur est, en effet, indéfinissable. Exit donc la pression sur l’entreprise qui pourrait s’exercer sur ce sujet.
- Avec quel angle peut-on alors aborder la question du recrutement ?
L.P. : Avec celui de l’humilité. Un bon entrepreneur est d’abord un entrepreneur humble. Et une personne humble n’a pas pour ambition de devenir irrésistible, au point que son entreprise n’ait qu’à ouvrir les bras pour accueillir les meilleurs talents. Une personne humble acceptera d’emblée le constat d’échec, pour mieux tenter autre chose. Enfin, une personne humble acceptera que la réussite puisse provenir de sources ou d’évènements qu’elle n’a pas provoqués. Quand on fait l’inventaire des recrutements réussis, soyons certains de réaliser qu’une bonne partie d’entre eux sont le fruit du hasard, qu’ils sortent des process qui avaient été établis. Et alors, où se situe le problème ? Le recrutement est-il réussi oui ou non ? Que le recrutement réussi ne provienne pas de l’annonce qui fut assez coûteuse peut être frustrant, j’en conviens. Que le recrutement réussi provienne d’une conversation anodine au coin d’une table de café peut être source de contrariété, c’est sûr. Dès lors, rajoutons une bonne dose d’humilité dans l’entreprise quant à son retour sur investissement attendu par rapport au coût de ses actions. Si le recrutement est réussi, il n’y a que cela qui compte.
- Peu importent les moyens et la source, c’est le résultat qui compte….
L.P. : Tout à fait, car nous parlons ici de relation humaine, et dans l’expression « relation humaine », il y a le mot « hasard ». Ceci étant dit, il faut tout de même mettre en place des process pour recruter et fidéliser du personnel, car ce sont ces conditions qui détermineront que le hasard se produise. Ne croyez pas réussir un recrutement en ne mettant aucun moyen en place.
- Quels sont donc les secrets pour que les bons éléments choisissent notre entreprise ?
L.P. : Une autre qualité implicité du « bon entrepreneur », c’est d’avoir compris qu’il a signé pour recruter et gérer de l’humain le temps de la vie de son entreprise. Une entreprise qui ne recrute plus ne respire plus. Il a aussi compris que les moyens qui marchent aujourd’hui ne marcheront pas toujours. Les attentes des jeunes générations sont différentes de celles d’hier. Les « millenials » ne rentrent pas dans une entreprise pour y faire carrière. À l’entreprise donc de pouvoir activer les ressorts qui vont activer l’intérêt du recrutement.
- Quels types d’éléments sont-ils, par exemple, importants aujourd’hui ?
L.P. : Je peux citer, déjà, ces 3 « ressorts » clés :
- La question du sens : qu’apportons-nous au nouvel entrant dans l’entreprise ?
- L’importance de la prise de risque: acceptons que le nouvel entrant s’affranchisse de l’ordre établi pour tenter autre chose.
- La place de la confiance : confions gratuitement, c’est-à-dire sans retour attendu, une tâche, une fonction à ce nouvel entrant pour l’aider à trouver sa place.
Et là, attention à la marche ! Sur ces 3 points, les marges de progression d’une entreprise de la restauration sont immenses. Le problème, c’est que la grande majorité, voire la quasi-totalité des restaurants, ne se pose pas ces questions. Pour preuve, ces établissements ne parviennent même pas à considérer leurs clients comme un élément central de leur relation, puisqu’ils considèrent vendre un produit et non une expérience.
- Tout cela ne se résumerait-il pas, finalement, à du « bon sens » ?
L.P. : En partie, oui. Mais ce n’est pas si facile que cela d’apporter du sens, d’accepter la prise de risque et d’accorder sa confiance. Sur la question du sens, la finalité des entreprises aujourd’hui étant purement économique, il est devenu compliqué d’élever le débat. Pour les entreprises, le débat se concentre beaucoup trop autour de la relation concurrentielle. Et la raison économique n’est pas suffisante pour attirer des gens. Allez dire à un nouvel entrant que votre entreprise va être la meilleure sur son marché, il vous écoutera s’il est poli mais ne sera pas ému, ni touché. En revanche, dites-lui que votre entreprise veut contribuer à rendre ce monde meilleur et vous obtiendrez plus d’adhésion profonde. Dès lors, il convient de procéder à un certain changement de paradigme pour que les choses changent dans le bon sens (voir les 4 conseils-clés dans l’encadré ci-dessous) ●
4 conseils-clés de Laurent Pailhès sur le recrutement
① Transformer son regard d’entrepreneur
« Le regard de l’entrepreneur envers ses collaborateurs doit se transformer pour être perçu bienveillant et non feint. L’exercice du pouvoir par la crainte a longtemps été la chose communément appliquée dans ce métier. Cette façon de procéder, si elle présente toutefois certains avantages comme celui du respect des process, est totalement démotivante dans un contexte où les prétendants à l’entreprise veulent d’abord y trouver une forme d’épanouissement. »
② Questionner l’apport de l’entreprise
Questionner ce que l’entreprise va apporter à ses collaborateurs, et pas seulement du point de vue du salaire, est un excellent moyen pour améliorer les process de recrutement, en particulier les annonces d’offre d’emploi.
③ Penser chaque étape de la relation humaine
Du recrutement à l’intégration, les process doivent être jalonnés pour s’assurer de l’adéquation sincère et véritable au poste et de la transmission de la culture d’entreprise.
4/ Privilégier les moments informels
La mesure de la performance de l’humain dans l’entreprise n’obéit pas à un ratio économique. Le ratio de productivité est un ratio parmi d’autres. Il convient de privilégier de vrais moments d’écoute, même très courts, où la communication peut se réaliser à d’autres niveaux que celui de la mesure de la performance.
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TEST Êtes-vous un bon dirigeant-manager ?
Que pensez-vous de ces affirmations ? Entourez la réaction qui vous convient le mieux.
« Je pense que la délégation des encaissements clients n’est pas souhaitable en restauration »
♣ Tout à fait ♦ Non, je ne m’y oppose pas
« Je pense que les nouveaux entrants dans un restaurant doivent d’abord faire leurs preuves »
♣ C’est exact ♦ Je ne vois pas les choses comme cela
« Si j’ai du mal à trouver du personnel, c’est parce que nous sommes dans un pays d’assistés »
♣ Je ne cesse de le répéter ! ♦ Cette analyse n’est pas la mienne
« Je ne sais pas ce qu’est un rapport d’étonnement »
♣ Oui, et alors ? Je n’en ai jamais eu besoin ♦ Bien sûr que si, et c’est important pour moi
« Les annonces à Pôle Emploi ne servent à rien »
♣ Sérieusement, qui peut dire le contraire ? ♦ Si, elles sont l’un des moyens de recruter
« Former le personnel est risqué car cela peut rendre mes collaborateurs plus employables ailleurs »
♣ En effet, je ne veux pas payer pour mes concurrents ♦ C’est avant tout utile pour mon entreprise
« Un client, c’est un portefeuille sur deux jambes »
♣ Tout à fait ! Mais qui n’est souvent pas assez garni ! ♦ Certes, mais c’est bien plus que cela…
« Je n’ai jamais entendu parler d’un logigramme de recrutement »
♣ Qu’est-ce que c’est que cette chose inutile, encore ? ♦ Serais-je alors vraiment dirigeant d’une entreprise ?
« La délégation de compétences apporte de multiples déconvenues »
♣ C’est vrai, mieux vaut tout gérer soit même ! ♦ Pas si elle est bien organisée…
« Les jeunes ne pensent qu’à faire la fête ou le tour du monde »
♣ C’est clair, ils sont irresponsables ! ♦ Peut-être, mais ils apportent beaucoup aussi à l’entreprise !
C’est l’heure des comptes… et du verdict !
Si vous avez 10 ♦ : Rien à redire, vous êtes sans doute un très bon dirigeant !
Si vous avez entre 5 et 9 ♦ : Profitez de cette marge de progression pour booster votre entreprise.
Si vous avez entre 6 et 10 ♣ : Vous avez sans doute vos méthodes de management, mais avez-vous déjà tenté de les remettre en question ?
Peut-être qu’un échange avec un coach en restauration, comme Laurent Pailhès, vous permettrait de mieux comprendre les enjeux du recrutement en 2019, et les attentes des Millenials.
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Laurent Pailhès
Consultant gérant de NEO Engineering
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Propos recueillis par Anthony Thiriet pour le magazine BRA Tendances Restauration.