De l’importance des données pour rester maître de son affaire
Et s’il y avait un lien entre la valeur d’un restaurant et la propriété des données de la clientèle ?
La vertu de la commercialisation par le digital, c’est de pouvoir faciliter la découverte d’un restaurant par des gens qui ne le connaissaient pas et ne l’auraient sans doute pas connu autrement.
De ce point de vue, la commercialisation digitale crée de la valeur, concrètement reflétée par de nouveaux clients. Ces derniers ont peut-être trouvé l’adresse via telle application, et réservé via telle autre. Le développement de la livraison engendre aussi des opportunités de développement et fait même émerger de nouveaux métiers.
Mais, en économie comme en science, la maîtrise d’une nouvelle technique a ses vertus… et ses zones d’ombre !
Dans un métier de commerce, le désavantage immédiat est une nouvelle commission sur la vente.
Dans l’hôtellerie, avant l’avènement d’Internet, les agences de voyage prenaient une commission d’environ 10 % sur les réservations ; aujourd’hui, le site www.booking.com prend 15 % à 17 % de commission sur ces mêmes apports d’affaires. Certes, des hôtels et chambres d’hôtes n’auraient pas pu se créer sans ce site ; mais que penser stratégiquement de l’immense part des établissements hôteliers qui ne peuvent pas ou plus se passer de la plateforme ?
Le principe est identique pour la livraison de repas : la commission est plus élevée encore : autour de 30 %. Un restaurant ne peut inclure ce coût dans son business model et le répercute donc sur ses clients.
Mais traitons plutôt un autre paramètre : celui de la propriété de la donnée.
Généralement, les plateformes précitées ne donnent pas accès aux coordonnées et aux préférences des clients, alors qu’elles savent les exploiter, le font ou le feront plus tard. Certaines plateformes payantes permettent aux restaurateurs de récupérer les données. Encore faut-il savoir télécharger et interpréter des fichiers CSV, la démarche étant variable selon l’évolution du système. Et le restaurateur n’a pas le temps pour intégrer le process de traitement de fichiers de données. Recourir de façon systématique à la commercialisation digitale, et développer son restaurant sur ce modèle, revient à transférer une partie de la valeur de l’entreprise à la plateforme de livraison. La data est donc, en effet, devenue le nerf de la guerre !
On peut tenter de mesurer la perte de la valeur d’une entreprise suite à la perte de la propriété des données clients ainsi :
► En prenant la valorisation par un multiple du Chiffre d’Affaires, l’hôtelier aura perdu 17 % de la valeur de son établissement. Il n’a plus de Cardex. Rappelons que le Cardex est, à l’origine, le nom commercial d’un jeu de fiches cartonnées utilisées pour gérer l’identité, l’historique de séjours et les préférences des clients d’un hôtel ». À Cardex tronqué, valorisation tronquée !
► En prenant la valorisation par un multiple de l’Excédent Brut d’Exploitation, la perte de valeur est plus importante encore. L’EBE intègrera un CA amoindri car provenant de sources non maîtrisées, ni maîtrisables d’ailleurs ; il intègrera, en outre, une charge supplémentaire qui est celle de la commission.
► Ajoutez au phénomène une importance moindre accordée à l’emplacement, du fait de la dématérialisation des restaurants.
► Tout cela cumulé, la valeur d’une affaire de restauration est significativement moindre.
L’enjeu à l’oeuvre, c’est bien la possession des données de la clientèle pour développer de formidables potentiels futurs. Même en ne connaissant rien à la restauration, le fait de posséder la liste des personnes dans tel quartier qui aiment rentrer le soir et se commander un burger plutôt entre 20h et 21h30 permet de mieux lancer un restaurant.
Pour contrer le phénomène, un restaurateur peut utiliser des moyens simples :
► Faire son propre fichier clients régulièrement actualisé sur un fichier Excel dont on aura sécurisé l’accès et instauré un système de sauvegarde.
► Intégrer systématiquement les données des clients provenant des plateformes de réservation, soit en les demandant régulièrement à ces dernières, soit en les demandant directement aux clients lorsqu’ils viennent dans l’établissement.
► Maîtriser dans le plan de développement la part de CA provenant des plateformes de réservation. Souvent, on ne peut faire autrement. Mais on peut essayer de ne conserver que l’aspect vertueux de la chose, en ciblant plus précisément les actions de commercialisation qui seront sous-traitées.
Laurent Pailhès
Consultant gérant de NEO Engineering
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Propos recueillis par Anthony Thiriet pour le magazine BRA Tendances Restauration.